Danse des roseaux : un rite d’initiation pour les vierges

Par Sandrine Bavard

C’est un rassemblement hors norme, avec des dizaines de milliers de jeunes filles qui défilent seins nus devant le roi du Swaziland. La danse des roseaux, remise au goût du jour dans la seconde moitié du XXe siècle, encourage les jeunes filles à rester chastes jusqu’au mariage et à éviter ainsi la propagation du virus du sida.

A première vue, la cérémonie de la danse des roseaux pourrait ressembler à un camp scout géant, avec des jeunes filles qui dorment pendant quelques jours sous une tente avant de participer à un grand spectacle final. Mais c’est bien plus que cela, et c’est bien plus qu’une danse : c’est un rite initiatique où les jeunes vierges du Swaziland et du Kwazulu Natal célèbrent leur pureté, font allégeance au roi et preuve de cohésion entre elles.

Le spectacle est saisissant, avec des milliers de jeunes filles qui défilent, chantent, dansent, seins nus, habillées d’un simple pagne ou jupette, d’une ceinture de perles ou de bijoux, voire d’une écharpe colorée. Certaines brandissent un couteau, symbole de virginité, et toutes tiennent dans leur main une tige de roseau (ou de bambou) qu’elles vont déposer au pied du monarque en signe de respect.
La parade est menée par une princesse du clan royal devant le roi, des dignitaires étrangers, des touristes et des habitants : assez de personnes pour remplir un stade !

Un rite de chasteté au Swaziland

Au Swaziland, les fillettes et les jeunes filles célibataires se rendent pendant une semaine en août ou septembre dans le village natal de la reine mère, à Ludzidzini, pour l’honorer et entretenir sa propriété. La danse des roseaux découle d’une tradition ancienne appelée « umcwasho », un rite de chasteté à observer pendant 5 ans.
Pendant cette période, les vierges portaient des signes distinctifs : des pompons en laine jaunes et bleus pour les filles en-dessous de dix-huit ans qui devaient éviter tout contact physique avec un homme, des pompons rouges et noirs pour les plus âgées qui avaient le droit de fréquenter un homme sans toutefois avoir de relation sexuelle.
Si la jeune fille avait le malheur de tomber enceinte hors mariage, sa famille était punie d’une amende : une vache ou un bœuf, qu’elle devait donner au chef local.

Un soutien populaire pour le roi Mswati III

Cette coutume n’a disparu que très récemment. Le roi Mswati III, dernier monarque absolu d’Afrique, imposait encore la chasteté aux vierges du pays entre 2001 et 2005, officiellement pour éviter la propagation du sida qui touche gravement le pays (plus d’un quart de la population touchée en 2012). Problème : le roi, polygame comme il est de coutume au Swaziland, n’a pas résisté aux charmes de sa nouvelle conquête de 17 ans. Il a donc payé son amende et abrogé cette loi avant son terme officiel.
Mais il n’est pas près de renoncer à la danse des roseaux, une manifestation qui lui permet d’asseoir sa légitimité avec 60 000 participantes selon les chiffres officiels et qui lui permet aussi de repérer sa nouvelle épouse, lui qui en compte déjà 15. « Bon prince », le roi offre le transport et le couvert aux jeunes filles, dans l’un des pays les plus pauvres d’Afrique.

Des tests de virginité en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, la cérémonie s’étale également sur plusieurs jours au mois de septembre et rassemble 30 000 personnes environ, venant de toute la région du Kwazulu-Natal, mais aussi du Lesotho, du Botswana et du Swaziland.

Elle se déroule au palais royal d’Enyokeni à Nongoma, la demeure de Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu, le roi zoulou, au rôle symbolique plus que politique, qui a relancé cette pratique, interdite pendant l’Apartheid, dans les années 1990. L’occasion de remettre en avant la culture zouloue étouffée jusqu’alors : en effet, selon la culture zouloue, les ancêtres originels ont émergé d’un lit de roseaux, une plante qui sert énormément dans l’artisanat et l’habitat locaux.

Mais comme son homologue du Swaziland, le roi zoulou prétend aussi encourager les jeunes filles à rester vierge jusqu’au mariage, et éviter la propagation du sida, fléau qui touche plus de 6 millions de personnes, soit 12% de la population sud-africaine.

Une pratique discriminatoire ?

Si l’intention est louable, le procédé est plus discutable, puisque les jeunes femmes doivent subir un test de virginité, loin d’être fiable sur le plan scientifique, pour participer à la cérémonie. Et il a été de fait très discuté quand les députés ont interdit les tests de virginité pratiqués sur les mineures de moins de 16 ans. « Les organisations de droits de l’homme combattirent avec la plus grande énergie des pratiques qu’elles considéraient comme sexistes, humiliantes et dangereuses, rapporte Philippe Denis, dans La montée de la religion traditionnelle africaine dans l’Afrique du Sud démocratique 1. Leur principale objection contre les tests de virginité était l’accent placé par leurs instigatrices sur la bonne conduite des jeunes filles, déchargeant implicitement les hommes de toute responsabilité dans la propagation du sida. »

Malgré la loi, les pressions continuent sur les jeunes filles et l’issue de ce test peut être terrible. « Comme les inspections étaient pratiquées en public, les jeunes filles ayant « échoué » le test – même dans le cas où l’hymen avait disparu naturellement ou par suite d’un viol – se trouvaient assimilées à des prostituées et risquaient d’être abusées sexuellement », poursuit l’auteur. Mais si elles réussissent le test, elles sont aussi menacées : certains Sud-Africains croient qu’ils seront guéris du VIH ou d’une autre maladie sexuellement transmissible s’ils ont des rapports sexuels avec une vierge. C’est ce qu’on appelle le Mythe de la Vierge.

1 http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=HMC_003_0121