L’art rupestre du peuple San, ces artistes de la Préhistoire

Par Sandrine Bavard

Des hommes, des bêtes, des êtres hybrides, des signes géométriques, des mains en négatif… C’est ce que l’on peut découvrir dans les grottes et sur les rochers d’Afrique du Sud, au sein de milliers de sites disséminés dans la nature.
Des peintures et gravures vieilles parfois de plusieurs milliers d’années, réalisées par le peuple San, les premiers habitants de l’Afrique australe.

Qui sont les San ? Tout simplement les plus anciens habitants de l’Afrique australe, probablement arrivés dans la région il y a environ 45 000 ans. Les colons hollandais les ont appelés les « hommes des buissons », ce qui a donné bochiman en français, bushmen en anglais, un terme peu flatteur pour une population pourchassée de tous temps, aussi bien par les colons européens que par les tribus sud-africaines. Leur tort ? Considérer que le bétail appartient à tous.
Ils ont alors migré dans les montagnes du Drakensberg, au centre du pays, et vers le désert du Kalahari, à cheval entre l’Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie.
Aujourd’hui, ces chasseurs-cueilleurs sont majoritairement sédentaires, vivant dans la misère, sur une terre inhospitalière. Au Botswana, ils sont même considérés comme des braconniers et harcelés par le gouvernement. Leur avenir est clairement menacé.
Mais, dans leur retraite, au cours des millénaires, les San ont laissé un témoignage inestimable : d’innombrables fresques peintes dans des grottes et des gravures souvent réalisées sur des roches en plein air, dans des endroits plutôt reculés. Cet isolement a permis de les préserver de la dégradation des hommes, même si les ravages du temps se font aujourd’hui sentir.

Des milliers de sites, du Cederberg au Drakensberg

N’imaginez pas un Lascaux ou un Chauvet bis avec des milliers de peintures et de gravures concentrées au même endroit : les San, peuple nomade, dessinaient beaucoup mais dans des lieux différents, rendant leur art peut-être moins spectaculaire que dans un lieu unique, mais tout aussi précieux.
Difficile de répertorier dans ce cas le nombre de sites : certains avancent le chiffre de 20 000 !
Le Parc du Maloti-Drakensberg, chaîne de montagne au Sud de Johannesburg, classé au patrimoine mondiale de l’Unesco, est la zone la plus remarquable : il comporte 665 sites d’art rupestre avec plus de 35 000 dessins différents selon les estimations !
Dans ce paradis pour randonneurs, on peut s’aventurer jusqu’au Bushman Cave Museum, un site à ciel ouvert dans la réserve de Giant’s Castle, incontournable avec ses quelque 500 peintures vieilles de 800 ans, mais aussi dans les gorges de Ndedema ou sur les chemins de Cathedral Peak.
Le Cederberg, au Nord du Cap, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2004, est un autre endroit privilégié pour appréhender l’art rupestre. Rien qu’au Bushman’s Kloof, plus de 130 sites sont à découvrir, certains datant d’il y a plus de 10 000 ans.

Des techniques élaborées

Ces sites sont d’une valeur inestimable, démontrant toutes les qualités artistiques des San : « Les peintures vont de simples monochromes aux polychromes complexes avec estompe, type souvent considéré comme l’apogée de l’art rupestre de l’Afrique du Sud. D’un autre côté, les gravures ont été réalisées par trois techniques : piquetage, incision, raclage », explique J.D Lewis Williams, ancien chef du département d’archéologie de l’Université de Witwatersrand de Johannesburg, qui a permis de mieux comprendre ces artistes de la Préhistoire.
Si l’Unesco déclare que l’art rupestre des San est un « témoignage unique qui met en exergue son mode de vie et ses croyances », le chercheur sud-africain est allé beaucoup plus loin en concluant que ces peintures et gravures sont liées à des rites chamaniques et qu’elles représentent les visions des chamanes pendant la transe.

Des pratiques et croyances religieuses

Plusieurs faits étayent sa théorie. Tout d’abord, les San ont représenté quantité d’animaux de la savane (hippopotame, zèbre, girafe, rhinocéros, autruche, babouin, serpent, antilope), mais pas n’importe lesquels : « Les animaux peints par les San ne représentaient pas une simple liste du gibier comestible présent dans la région : le critère utilisé pour déterminer quels animaux allaient être peints n’était lié ni à la prééminence de ces animaux dans l’écosystème sud-africain, ni au régime alimentaire des San », rappelle Pieter Jolly du département d’Archéologie de l’Université du Cap dans un article consacré au symbolisme religieux de l’art rupestre san.
Dans ce bestiaire, l’éland du Cap, la plus grande antilope d’Afrique (à ne pas confondre avec l’élan d’Amérique du Nord, un cervidé), tient une place prédominante : « Les études ethnographiques montrent que le symbolisme de l’éland imprègne presque tous les aspects de la vie religieuse de nombreux groupes san. Cette antilope joue, ou du moins jouait, un rôle très important au cours des rites de puberté des jeunes filles san ; c’est également le premier animal créé par Kaggen (ou Cagn), la divinité malicieuse des San /Xam du Cap-Nord et des San Maloti du Lesotho », poursuit le chercheur.
L’éland est ainsi un animal très symbolique, faisant le lien avec les esprits.

Entrer dans le monde des esprits

Les chamanes voulaient entrer en contact avec le monde des esprits pour agir sur le cours des choses : guérir des maladies, contrôler des animaux, faire venir la pluie, prédire l’avenir…
Pour ce faire, ils dansaient en cercle et c’est ainsi qu’ils se sont représentés dans de nombreuses peintures : penchés en avant jusqu’à la taille, parfois soutenus par des bouts de bois, les bras en arrière, saignant du nez, ou le corps en train de s’effondrer…
Ils ont aussi dessiné leurs visions ou leurs hallucinations, des hommes difformes au corps extrêmement allongé ou des êtres hybrides, par exemple des hommes dotés de sabots d’éland ou des félins avec des jambes humaines… « Les humains hybrides seraient alors des chamanes en cours de transformation dans le monde des esprits, transformation visant à acquérir le pouvoir supranaturel logé dans les animaux », indiquait le Museum de Toulouse dans une exposition consacrée à « L’Afrique du Sud, l’autre pays de la Préhistoire ».

Plus prosaïques, les San ont aussi peint leur histoire et la société : des fresques représentent ainsi des batailles avec les Xhosa et les Zoulou, reconnaissables à leurs boucliers ovales, mais aussi avec les colons Boers et les Britanniques représentés sur leurs grands chevaux. Certaines peintures réalisées plus tardivement, aux XIXe et XXe siècles, sont attribuées aux autochtones d’expression bantoue.

Quand l’art rupestre entre au musée…

Outre les randonnées sur les sites, on peut découvrir l’art rupestre dans le plus ancien musée d’Afrique du Sud, le Iziko SA Museum au Cap, ouvert en 1825 : il possède des originaux extraits des sites au début du XXe siècle dont des parois entières de grottes, mais aussi plus de 2 000 reproductions qui couvrent jusqu’aux découvertes les plus récentes.
Le musée McGregor de Kimberley et le musée Vryburg, à la frontière du Kalahari, possèdent également de belles collections d’art rupestre.

Des initiatives naissent un peu partout dans le pays pour faire découvrir au grand public cet incroyable héritage. Ainsi, dans la périphérie de Kimberley, le Wildebeest Kuil Rock Art Centre, un centre d’interprétation géré à la fois par les peuples autochtones et les chercheurs, permet aux visiteurs d’arpenter une colline sacrée où se trouvent plus de 200 gravures.

Pour vous donner un aperçu de l’art rupestre san sans bouger de votre fauteuil, rendez-vous sur le site www.sarada.co.za où sont numérisées plus de 270 000 images.