Afrique du Sud : les plus vieux vins du nouveau monde

Par Sandrine Bavard

On cultive la vigne depuis le XVIIe siècle en Afrique du Sud, et les vins de Constantia faisaient déjà le bonheur de Napoléon !
La viticulture a connu un bond en avant depuis la fin de l’Apartheid : des crus à découvrir sur l’une des 18 routes des vins officielles que compte le pays.

L’Afrique du Sud possède l’un des plus vieux vignobles du… nouveau monde.
Il remonte à la naissance même de la nation sud-africaine, quand la compagnie néerlandaise des Indes orientales envoie une flotte au Cap en 1652 pour créer une station de ravitaillement.
Jan van Riebeeck, qui deviendra le premier gouverneur d’Afrique du Sud, est missionné pour ravitailler les navires en nourriture, en eau et visiblement en vin, puisque la première vendange est réalisée en 1659, de piètre qualité.
Heureusement pour le vin, 20 ans plus tard, débarquent plus de 200 vignerons français, des huguenots qui fuient les persécutions religieuses après la révocation de l’Edit de Nantes. Ils arrivent avec des cépages de qualité, apportent leur savoir-faire et s’installent dans la vallée de Franschhoek, le « coin des français ». La viticulture du Cap prend alors son essor.

La renommée des vins de Constantia

Parmi les colons, Simon Van der Stel, commandeur de la ville du Cap, choisit d’implanter en 1684 une exploitation à 8 km de la ville dans la partie basse de la Montagne de la Table. Un lieu propice à la viticulture qui bénéficie d’une triple conjonction : un climat de type méditerranéen, un sol granitique riche et la brise de deux océans.
Baptisés Constantia, ces vins s’exportent en Europe à la fin du XVIIIe siècle et connaissent une grande renommée : Napoléon Ier, Frédéric le Grand, Bismarck en raffolent ! Ces vins flattent même le palais de Jane Austen, Charles Dickens ou encore Charles Baudelaire qui les citent dans leurs œuvres, à l’image du poète français :
« Je préfère au constance, à l’opium, aux nuits,
L’élixir de ta bouche où l’amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis. »

Plus prosaïquement, l’œnologue André Julien se réjouit en 1866 de la saine concurrence qui préside à l’élaboration du Constantia, dans sa Topographie de tous les vignobles connus : « Chacun des propriétaires de ces clos prétend à la supériorité sur l’autre ; mais c’est leur rendre justice à tous deux que de mettre les vins qu’ils fournissent au nombre des meilleurs vins de liqueur du globe, immédiatement après celui de Tokay : ils ont, comme ce dernier, une douceur agréable, beaucoup de finesse, du spiritueux et un bouquet des plus suaves. »
Malgré toutes ses qualités, ce vin a bien failli disparaître, avant de renaître dans les années 1980, suivant la trajectoire du vignoble sud-africain.

Une lente évolution au XXe siècle

Le vignoble sud-africain connaît sa première crise vers 1880 à cause du phylloxera qui dévaste les plans de vigne. Pour structurer le vignoble, une institution voit le jour en 1918 : le Kooperatieve Wijnbouwers Vereniging, abrégé en KWV, qui regroupe la plupart des producteurs sud-africains et régule la production nationale (quota de production, limites des aires viticoles, prix minimaux…). Pour protéger la spécificité des terroirs, le système des « Wines of Origin » est créé en 1972, à l’image des appellations d’Origine en Europe, et mentionne les origines, les cépages et les millésimes sur l’étiquette.

L’isolement pendant l’Apartheid

Mais la crise la plus dure et la plus durable a lieu pendant l’Apartheid. Les sanctions économiques de la communauté internationale isolent le pays et affaiblissent la filière viticole : pas d’innovations technologiques, peu de cépages nouveaux…
Beaucoup de vins sont distillés en brandy pas toujours de très bonne qualité, pour alimenter la consommation intérieure élevée.
Il faut attendre la fin de l’Apartheid et les premières élections démocratiques du pays en 1994 pour que les affaires reprennent, y compris pour la filière viticole, qui rattrape peu à peu son retard.

L’Afrique du Sud, dans le top ten des producteurs

En 20 ans, l’Afrique du Sud a fait des progrès considérables et fait aujourd’hui régulièrement partie du top ten des producteurs de vins dans le monde : elle a produit 1 181,9 millions de litres en 2014, soit 4.2% de la production de la planète, ce qui la place au 7e rang mondial.
Les Sud-Africains sont de plus en plus nombreux à boire du vin : la consommation intérieure a atteint 373 millions de litres, soit 1,5% de la consommation mondiale de vin, en 2013.
Les étrangers sont aussi friands des vins sud-africains, notamment les Britanniques, les Allemands et les Néerlandais : les exportations de vins ont atteint 525.6 millions de litres, avant de chuter en 2014 à 422.7 millions de litres.

Des efforts qui portent leurs fruits à l’exportation

Pour augmenter ses exportations, l’Afrique du Sud a misé sur la production de vins fins. De nombreux domaines ont fait appel à des maîtres de chais et des œnologues réputés. Des investisseurs français comme Anne Cointreau à Stellenbosch ou la famille Rothschild à Fredericksburg sont parvenus à produire des vins de grande tenue.
En ce qui concerne le marketing, les domaines sud-africains se sont inspirés des viticulteurs australiens et californiens, leaders des vins dits « technologiques ».
« On peut dire que l’Afrique du Sud a trouvé un certain équilibre entre un savoir-faire européen et un marketing des pays « du nouveau monde ». Cet équilibre lui permet d’augmenter chaque année ses exportations avec des vins de table (easy drinking) de bon rapport qualité/prix mais aussi avec des vins de qualité supérieure », résume Thibault Huygue dans un article consacré à la viticulture sud-africaine.1

Pour découvrir le vignoble sud-africain, cap à l’Ouest !

Actuellement, le vignoble sud-africain s’étend sur un peu moins de 100 000 hectares. Il s’est développé autour de son berceau historique, la ville du Cap, en remontant la côte vers le nord, en descendant vers le sud, en gagnant vers les terres intérieures, formant de grandes régions viticoles comme Stellen-bosch, Paarl, Malmesbury, Worcester…
Il se confond avec le « royaume floral du Cap », encerclé par deux océans et doté d’une incroyable biodiversité, avec presque 1000 espèces de plantes ! On peut découvrir les quelque 500 domaines au fil des 18 routes des vins officielles et les deux routes du brandy que compte le pays, souvent dans des paysages grandioses !

Une majorité de cépages blancs

Que peut-on déguster ? Un peu de tout : des blancs secs ou moelleux, des rouges secs, des vins corsés, des mousseux, des rosés, des liquoreux…
En 2013, la production de vins blancs tenait encore la corde (à 54.6%) devant les vins rouges qui sont en augmentation. Pour les cépages blancs, on retrouve principalement le Chenin (18%), le Chardonnay (9%), et le Sauvignon (8%).
Pour les cépages rouges, on recense du Cabernet (11.7%), de la Syrah (10.5%), du Merlot (6.2%) et le Pinotage (7.4%), une spécificité sud-africaine, croisement entre le Pinot Noir et le Cinsault, plus résistant aux maladies.

Des vins « spéciaux »

Les spécialistes affirment : « Le moins que l’on puisse dire lorsque l’on déguste les vins sud-africains, c’est qu’ils sont tous spéciaux : Sauvignon de Constantia, Riesling d’Elgin, Pinot noir de Walker Bay, Shiraz de Wellington, Malbec de Paarl, Pinotage de Simonsberg, Chenin Blanc de Malmesbury. Ils sont différents de ce que pourrait faire le reste du monde avec ces vins de cépage », souligne l’Institut français de la vigne et du vin Midi-Pyrénées après un voyage d’étude sur place.2
Le Wosa, organisme chargé de la promotion des vins sud-africains, le dit plus joliment « Nos vins sont aussi différents que notre population, un arc-en-ciel culturel et ethnique ».

1 Thibault Huygue, « La viticulture sud-africaine : un équilibre entre Europe et « nouveau monde » », Les Cahiers d’Outre-Mer, 231-232 | 2005, 419-422.

2 http://www.vignevin-sudouest.com/publications/voyage-etude/documents/synthese-Afrique-du-sud.pdf