Les rhinocéros menacés par le braconnage

 Par Sandrine Bavard

Trois rhinocéros meurent chaque jour en Afrique du Sud : un animal plus que jamais menacé à cause du braconnage. Ce chiffre a explosé ces dernières années à cause de la demande en Asie, Chine et Vietnam en tête, pour ses soi-disant vertus médicinales.

En 2013, le nombre de rhinocéros braconnés en Afrique du Sud a franchi la barre symbolique des 1000 têtes, soit trois rhinocéros tués chaque jour. Un chiffre qui a été multiplié par plus de trois en trois ans !

L’année 2014 ne s’annonce guère meilleure : 631 rhinocéros ont été tués sur les six premiers mois de l’année, dont 408 dans le Parc national Kruger, le plus célèbre et le plus grand des parcs sud-africains, d’une superficie de près de 20 000 km2.


Face à ce constat alarmant, la ministre de l’environnement, Edna Molewa, a annoncé en août 2014 une mesure exceptionnelle : l’évacuation de rhinocéros du Parc national Kruger vers d’autres réserves jugées plus sûres, publiques ou privées, en Afrique du Sud ou dans les pays voisins comme la Namibie et le Botswana.

Pour l’instant, le San Parks, le réseau des Parcs nationaux sud-africains, avance le chiffre de 500 rhinocéros qui seraient déplacés. Mais l’opération coûte cher, environ 1000 euros pour capturer l’animal, auxquels s’ajoute le coût du transport !


De plus, ces animaux seront donnés, occasionnant une perte supplémentaire pour le pays : « Malgré cela, déplacer les rhinocéros dans des pays voisins semble être un beaucoup plus petit risque que de laisser ces géants gris exposés à la brutalité des braconniers », explique la direction de San Parks.

Une forte demande en Asie

Comment expliquer la recrudescence des braconnages depuis 2007 ? A cause de l’essor économique en Asie, où la corne de rhinocéros est très recherchée pour ses vertus médicinales et aphrodisiaques.
Or, des études scientifiques ont prouvé que cette corne ne contenait que de la kératine, la même protéine que celle contenue dans les ongles et les cheveux.

« Le principal facteur expliquant l’essor de ce commerce est l’explosion de la demande au Vietnam. Elle serait due à la parution d’informations expliquant qu’un officiel du gouvernement atteint du cancer serait entré en rémission grâce à l’usage de la corne de rhino. Depuis, elle est très recherchée comme anticancéreux » précise WWF.1

Autre usage encore plus stupéfiant rapporté par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)2 : « Une nouvelle tendance est apparue au Vietnam, qui consiste à utiliser de plus en plus la corne de rhinocéros pour soigner les effets d’une consommation excessive de drogues à usage récréatif, par exemple l’alcool. La possession d’une ou plusieurs cornes de rhinocéros est également considérée comme un symbole de statut social chez certaines personnes riches et influentes. »


Résultat : le prix de la corne de rhino flambe, dépassant celui de l’or ou du platine, et même celui de la cocaïne sur le marché noir.

Une guerre sans merci

Puisque le crime paie, et plutôt bien, les candidats au braconnage sont nombreux, surtout dans un pays pauvre comme le Mozambique, dont la longue frontière est commune avec le Parc national Kruger. Organisés en milices, les braconniers disposent de moyens de plus en plus sophistiqués pour traquer les rhinocéros : hélicoptères, jumelles à vision nocturne, géolocalisation, armes silencieuses …

Et ils ne font pas dans le détail : ainsi, en mars dernier, un touriste avait filmé sa rencontre avec un rhinocéros affreusement mutilé, titubant le long de la route. Les responsables du Parc ont retrouvé l’animal quatre jours plus tard, encore vivant, mais avec une balle logée dans le cerveau : ils ont dû l’abattre pour abréger ses souffrances. Dans la majorité des cas, les rhinocéros ne survivent pas à une attaque.

Intensifier la lutte

Si l’Afrique du Sud est en première ligne pour la lutte contre le braconnage, c’est qu’elle concentre 80% des rhinocéros encore en liberté dans le monde, soit 20 000 bêtes environ.

Désemparées, les réserves apportent des réponses surprenantes et souvent radicales pour lutter contre ce fléau. Le parc de Moholoholo a volontairement enlevé la corne de ses rhino pour qu’ils n’aient plus de valeur sur le marché. La réserve de Sabi Sand a injecté du poison dans la corne de l’animal, détectable aux scanners des aéroports, pour rendre malade ceux qui la consommeraient.

Le gouvernement sud-africain riposte, lui, à travers sa législation. En 2012, il a signé un protocole d’entente avec le Vietnam et la Chine pour lutter contre le trafic illégal d’espèces, mais aussi leurs voisins (la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et Hong Kong) par où transite aussi la marchandise.

En 2014, il a signé un accord avec le Mozambique : désormais, les rangers sud-africains à l’intérieur du parc auront le droit de poursuivre les braconniers lorsqu’ils passent la frontière. De plus, une clôture va être érigée entre les deux pays.

Les deux pays ont durci la législation dans ce sens. Le Mozambique, où la population de rhinocéros a totalement disparu, punira les braconniers pris sur le fait de 12 ans de prison et 90 000 dollars d’amende, tandis que le transport illégal d’espèces protégées sera sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 88 000 dollars.

En Afrique du Sud, puisque l’envoi de militaires dans les parcs ne suffit pas, le gouvernement a décidé de mobiliser les services de renseignements pour infiltrer et démanteler les réseaux. Une fois pris dans les mailles de la justice, le coupable s’expose à un jugement sévère : un braconnier a ainsi été condamné à 77 ans de prison en juillet dernier.

Stopper le trafic illégal de cornes

Désormais, le gouvernement sud-africain veut lever l’interdiction sur la vente des cornes de ces animaux, mise en place dans les années 70, afin d’écouler les stocks qu’il détient. L’idée est de limiter le trafic illégal de cornes en mettant sur le marché des stocks légaux, issus de rhinocéros morts de manière naturelle. Elle militera dans ce sens lors de la réunion de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) qui se déroulera en Afrique du Sud en 2016.

Il y a urgence à agir, car les chiffres sont dramatiquement alarmants : au début du XXe siècle, 500 000 rhinocéros vivaient sur la planète. Ils ne sont plus que 30 000 aujourd’hui.

1 www.wwf.fr/nos_priorites/especes_menacees/identifier_les_especes_prioritaires/rhinoceros/rhinoceros_d_afrique/

2 www.cites.org/fra/cop/16/doc/F-CoP16-54-02.pdf